Aly Fall, porte-parole du Synpics : «Macky Sall a insulté la mémoire de Alpha Sall»

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Secrétaire général national adjoint et porte-parole du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics), Aly Fall donne ici les raisons pour lesquelles le syndicat dénonce le choix fait sur la personne du nouvel administrateur de la Maison de la presse, Bara Ndiaye, mais aussi sur le forcing opéré par Macky Sall pour le faire. Défenseur des droits des journalistes, il a aussi déploré la précarité existante dans la profession et l’inertie des autorités. Lesquelles, regrette-t-il, tardent encore à voter le Code de la presse.

 

 

On vient de confier la gestion de la Maison de la Presse à Bara Ndiaye, qu’en pense le Synpics ?

 

Nous, nous avons toujours été contre cette nomination, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que nous avions engagé des concertations l’année dernière, concernant la gestion de cette Maison de la presse, donc nous pensions que nous allions être impliqués dans la gestion, entre autres. Ce qui n’a pas été fait. Ensuite, celui à qui on a confié cet outil, a une coloration politique, même s’il est journaliste de formation. On n’a rien contre la personne de l’administrateur, mais la démarque est choquante et Macky Sall vient encore nous montrer, qu’il n’a aucune considération pour le Synpics, encore moins pour les autres acteurs de la presse. Par cette mesure, Macky Sall insulte la mémoire de feu Alpha Sall, mais également de toutes les autres figures de proue de ce syndicat qui se sont battus pendant des années pour l’érection de cette maison de la presse. Par cette mesure, Macky Sall nous montre qu’il pense d’abord à son parti avant la Patrie. Et c’est vraiment malheureux, parce qu’il fait fi justement des positions des uns et des autres. Il a fait un forcing, mais ce forcing-là ne passera pas. Parce que nous avons décidé, purement et simplement, de boycotter cette maison de la presse. Et nous invitons également toutes les autres associations de presse à boycotter cette maison. Parce que finalement, ce n’est plus une maison de la presse, mais une maison pour l’Apr et son chef.

On a décidé de boycotter, tout simplement, parce qu’on a vu que Macky Sall n’a aucun respect pour les journalistes de ce pays. Il a voulu nous montrer que cette maison de la presse lui appartient et qu’il peut la donner à qui il veut, sans tenir compte des avis des uns et des autres. Comme il n’a pas de comptes à rendre à personne, c’est tant mieux pour lui, maintenant il n’a qu’à gérer cette maison avec ses militants. Pourtant, un Conseil d’administration avait été déjà arrêté de commun accord, il restait juste la nomination d’un administrateur, mais c’est la façon encore une fois, qui est choquante.

 

Est-ce que vous aviez un choix pour l’administrateur de la maison de la presse ?

 

Nous n’avions pas de choix, mais nous aurions souhaité qu’on nous implique dans le processus de nomination de celui qui va gérer cette maison de la presse. Ne serait-ce que pour respecter les principes de la transparence, le chef de l’Etat ou ses services auraient pu associer le Synpics, l’Appel (qui regroupe les acteurs de la presse en ligne : Ndlr) ou encore la Convention des jeunes reporters. Nous pensons qu’ils ont raté une belle occasion de nous manifester leur considération. Mais qu’à cela ne tienne, nous n’avons pas dit notre dernier mot et nous n’allons pas nous laisser abattre sans réagir.

 

Parlez nous un peu du Conseil d’administration qui avait été déjà arrêté ?

 

Oui, on a tenu un séminaire il y a un peu plus d’un an avec tous les acteurs de la presse. Il y avait la Convention des jeunes reporters du Sénégal (Cjrs), le Synpics, l’Appel (Association de la presse en ligne), le Cdps, qui regroupe une partie du patronat, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra), les cadres du ministère de la Communication et d’éminents journalistes, qui étaient présents à ce séminaire-là. Séminaire au cours duquel, on a réfléchi sur le modèle de gestion de cette maison en insistant surtout sur un modèle inclusif. Après des jours de réflexion, on est finalement tombé d’accord sur la composition de ce Conseil d’administration qui devait avoir 19 membres. Et en plus des acteurs de la presse, beaucoup de ministères étaient représentés dans le Conseil, ce qui est normal vu que c’est quand même l’Etat qui a mis des moyens énormes pour l’érection de cette maison. Donc, il ne restait que la mise en œuvre des recommandations issues de ce séminaire. Mais, on se lève un beau jour et on nous dit que quelqu’un a été nommé. C’est vraiment triste. On se demande à juste raison, à quoi servait ce séminaire, si c’est pour prendre ensuite des décisions unilatérales ?

 

Pourquoi vouloir ruer dans les brancards aujourd’hui, alors que le nouvel administrateur n’a pas encore posé d’actes ?

 

Il n’est pas question de donner du temps à qui que ce soit, pour un quelconque acte. Encore une fois, le combat que nous menons est un combat de principe. Il ne faudrait pas, parce que tout simplement c’est le choix exprimé par l’autorité, qu’on acquiesce. Cette maison a une histoire, un cheminement. Il fallait que Macky Sall respecte l’histoire de cette maison, mais aussi tous les pionniers qui se sont battus pour qu’on érige cette maison, conçue pour abriter des organisations de presse. Dès le départ, nous avions dit que nous ne sommes pas d’accord sur le choix opéré par Macky Sall. Nous avions invité l’autorité à continuer la concertation que nous avions engagée pour trouver un choix consensuel. Mais rien de tout cela n’a été fait et tant pis pour nous.

 

On n’entend que le Synpics dans cette histoire et les patrons de presse, dans tout ? Est-ce que vous pensez qu’ils se sont rangés derrière le président Macky Sall ?

 

On ne saurait être affirmatif par rapport à cette question. Ce que nous savons, c’est que le Cdeps, qui regroupe une partie des patrons, avait la même position que nous, relativement à une gestion inclusive de cet outil. Et il faut dire aussi que tout comme le Synpics, le Cdeps, ou du moins son président, s’est également exprimé pour dénoncer la façon cavalière avec laquelle le choix de l’administrateur a été opéré. De toute façon en ce qui nous concerne, nous avons boycotté la maison de la presse et nous invitons le patronat et les autres associations de journalistes à en faire de même, comme ça Macky Sall et son jeune militant seront seuls avec leur maison. Ils n’ont qu’à l’appeler comme ils veulent, mais ce n’est pas une maison de la presse.

 

Un message au président Sall ?

 

Nous n’avons pas un seul message à lui lancer, mais plusieurs messages. D’abord, on lui demande plus de considération à l’endroit du Synpics.  Depuis qu’il a été porté à la tête de ce pays, il a refusé de nous recevoir, sans qu’on se sache pourquoi. On lui a envoyé plusieurs correspondances, qui sont restées lettres mortes. On ne sait pas ce qui se passe, mais nous estimons quand même que nous sommes des Sénégalais, comme tous les autres et personne ne mérite mieux que nous, une audience avec le président Sall. Il a reçu beaucoup d’associations socioprofessionnelles et même des rappeurs qui fêtaient un anniversaire, sans compter les vieux politiciens qui défilent au palais tous les jours.

On ne quémande pas une audience, mais nous pensons qu’il doit nous accorder cette rencontre, parce qu’apparemment il ignore beaucoup de choses dans cette profession. Ce qu’il ne sait certainement pas, c’est que les journalistes et techniciens des médias souffrent. Ils ne sont pas payés ou ceux qui le sont, reçoivent tardivement leur salaire. A l’exception de deux groupes de presse, tous les autres baignent dans l’illégalité totale au vu et au su de tout le monde. Nous n’avons pas de couverture maladie, on ne cotise pas pour nous dans les institutions sociales. Et ça, tout le monde le sait. On n’a rien contre le fait que le président décide d’effacer des dettes fiscales ou ordonne une amnistie fiscale, mais il devrait en même temps, s’intéresser au cas des reporters, pour être juste avec tout le monde. C’est ce que nous attendons de lui. Il peut s’acoquiner avec qui il veut, mais il faut qu’il soit plus juste avec les autres acteurs de la presse. En un mot, nous l’invitons à nous prendre beaucoup plus au sérieux.

 

Le Code de la presse peine à être voté. Qu’est-ce qui l’explique, selon vous ?

 

Nous pensons qu’il y a une mauvaise volonté manifeste de la part du chef de l’Etat, même s’il veut faire croire à tout le monde qu’il adhère à ce projet. Nous l’invitons naturellement à diligenter le vote du Code de la presse, mais nous ne nous faisons aucune illusion. Nous avons compris que cette législature, qui a vite fait de rejeter le texte, ne le votera pas, pour la bonne raison qu’elle n’a même pas pris la peine de lire toutes les dispositions du texte. Mais qu’à cela ne tienne, si cette législature ne le vote pas, une autre le fera certainement un jour. Nous ne désespérons cependant pas, de voir les députés, adopter une autre posture à l’endroit du Code de la presse. Nous les invitons à lire davantage le texte et ils comprendront qu’on ne peut avoir meilleur Code que celui qu’on a présentement. Ce secteur est en train de mourir de sa belle mort, mais le régime de Macky Sall préfère assister amorphe à ce spectacle et c’est dommage. Ce milieu souffre et il en est le principal responsable.

Il a fermé ses yeux et a bouché ses oreilles, par rapport aux appels de détresse du Synpics. Il faut qu’il s’arrête et qu’il se réveille avant qu’il ne soit trop tard. En tout cas, nous Synpics, nous allons continuer à sensibiliser les uns et les autres et à faire le plaidoyer qu’il faut, sans forcer, parce qu’il n’y a pas plus difficile que de vouloir orienter le regard de quelqu’un qui porte des œillères. En tout cas, nous ne croiseront pas les bras. Et d’ailleurs, nous sommes en train de sensibiliser beaucoup d’associations de la société civile, pour qu’indépendamment de l’histoire du Code de la presse, qu’elles s’impliquent dans la lutte que le Synpics entend mener, pour se faire entendre.

 

Pour ou contre la «dépénalisation» qui bloque le processus ?

 

Vous savez, ce Code de la presse est un tout global et bien sûr, nous sommes pour la dépénalisation. Nous pensons qu’on ne doit pas faire moins que les autres pays voisins qui ont dépénalisé les délits de presse. C’est incompréhensible au Sénégal, qu’on demande au Synpics de retirer cette disposition du texte, pour qu’on puisse le voter. Même certains députés nous le demandent. Mais ce que les gens ne savent pas, c’est que ce document est un document consensuel. Ce n’est pas un document du Synpics. On avait un comité scientifique composé, entre autres, de magistrats, de personnalités de la société civile. Le Synpics ne peut pas prendre la responsabilité sur lui, d’extirper un quelconque point, sans l’avis des autres. Nous pourrons cependant faire la proposition au même comité scientifique, pour qu’on essaye de réfléchir par rapport à cette possibilité de retirer ou non cette disposition. Mais, il n’appartient pas au Synpics de retirer un quelconque point, de façon singulière.

 

Le vote du Code tel qu’il est conçu ne serait-il pas une menace pour les entreprises de presse, confrontées au risque de fermeture en cas de sanction pécuniaire lourde ?

 

Le vote de ce Code comme tel n’est pas une menace pour les entreprises de presse normales, c’est-à-dire qui ont un personnel qualifié et apte à faire ce métier. C’est une question pertinente, qui revient très souvent, mais la réponse reste la même. Seuls ceux qui ne sont pas sûrs de pouvoir remplir les conditions d’un bon journaliste ont peur de voir le Code adopter. Nous pensons de toute manière que condamner un journaliste dans l’exercice de ses fonctions n’a jamais rien réglé. Mais quand le Groupe de presse est conscient qu’il peut faire l’objet de sanctions pécuniaires lourdes, si l’un de ses employés est reconnu coupable de diffamation, il va réfléchir plusieurs fois, avant de recruter des non-professionnels. Ce que nous demandons, c’est que les gens s’entourent de journalistes professionnels, parce qu’il y en a dans ce pays et ils sont nombreux.

Nous pensons qu’avec ces sanctions pécuniaires-là, les gens seraient beaucoup plus vigilants par rapport aux informations qu’ils donnent. Parce que, justement cette sanction financière-là, sera considérée comme une épée de Damoclès au dessus de nos têtes. La sanction pécuniaire est beaucoup plus dissuasive que la prison. On a vu, par le passé, que les gens sortaient des prisons avec le sentiment d’être un héros.

 

Que dire de la dégradation de l’image du journaliste au Sénégal ?

 

C’est une frustration pour nous autres journalistes quand on voit notre image écornée de la sorte, à cause d’intrus qui n’ont rien avec la profession. C’est justement pour combattre tout ça, qu’on avait pensé travailler sur le Code de la presse. Maintenant que le Code a réglé une partie des problèmes, il ne reste qu’à le mettre en œuvre. Parce que dès la mise en œuvre, on saura qui est qui et qui fait quoi ? Il y a une commission de distribution des Cartes nationales de presse, qui va se charger de faire identifier les journalistes. A partir de ce moment maintenant, ce sera plus facile pour le Synpics de travailler à nettoyer à grande eau cette profession.

 

On n’entend pas également le Synpics quand il s’agit de l’aide à la presse, qui suscite beaucoup de polémiques ?

 

Pourtant, nous n’avons jamais cessé de dénoncer cette aide dite à la presse, dans son format actuel. Raison pour laquelle d’ailleurs, on a demandé à ce que l’usage de cet argent soit retracé par la Cour des comptes, parce qu’après tout, c’est l’argent du contribuable. On n’a jamais compris le fait qu’on distribue 700 millions de F Cfa chaque année à des personnes privées, pour une supposée aide à la presse, sans auditer l’argent. C’est justement cet audit qui allait édifier les Sénégalais sur l’usage de cet argent, qui sert à enrichir des personnes privées plutôt qu’à participer à l’amélioration des conditions de travail des journalistes et techniciens des médias. Si seulement on respectait tous les critères, seuls deux à trois groupes de presse allaient bénéficier de cette aide.

Nous, nous étions à la base de cette aide à la presse, mais elle est dévoyée dans son utilisation actuelle. Nous sommes farouchement opposés à la façon dont les 700 millions sont distribués. C’est tout simplement un forfait, une escroquerie au nom de cette profession que nous n’entendons pas cautionner. Encore une fois, l’Etat a démissionné par rapport à ce secteur et il ne sortira pas indemne de ce cafouillage, de cette désorganisation, qui est en train de ronger cette profession.

 

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