Zimbabwe : «C’est un coup d’Etat contre la Première dame»

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Le règne du chef de l’Etat le plus âgé au monde va-t-il s’achever ? Au Zimbabwe, l’armée retient ce mercredi le président Robert Mugabe en 1980. Des militaires sont déployés dans la capitale Harare et des blindés de l’armée contrôlent les accès au Parlement, au siège du parti au pouvoir la Zanu-PF et aux bureaux dans lesquels le chef de l’Etat réunit généralement ses ministres. Virginie Roiron, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Strasbourg, a répondu aux questions de 20 Minutes.

Que se passe-t-il au Zimbabwe ? S’agit-il d’un coup d’Etat, bien que l’armée le nie ?

Ça y ressemble beaucoup, c’est vraisemblablement un coup comploté entre l’armée et l’ancien vice-président. Pour comprendre la situation actuelle, il faut savoir que la Zanu-PF, le parti du président Mugabe est très divisé, depuis 2014, entre deux principales factions : d’un côté, le camp d’Emmerson Mnangagwa, l’ancien vice-président limogé le 6 novembre dernier. De l’autre, la faction G40 (pour génération 40), pro-Grace Mugabe [âgée de 51 ans], l’épouse du président qui veut lui succéder. Les deux camps sont à couteaux tirés depuis une année. On assiste à l’apothéose de leur lutte.
Le limogeage d’Emmerson Mnangagwa a vraisemblablement été téléguidé par la Première dame qui aspire à devenir vice-présidente pour être le successeur naturel de Robert Mugabe. En 2014, Grace Mugabe avait mené une campagne accusant la vice-présidente Joyce Mujuru de vouloir renverser le président, menant à son limogeage. Or Emmerson Mnangagwa est soutenu par l’armée. Il est difficile de ne pas voir de corrélation entre l’action de l’armée et le limogeage du vice-président. D’ailleurs le général Chiwenga a donné une conférence de presse lundi 13 novembre mettant en garde Robert Mugabe au sujet de la purge qui avait eu lieu dans le gouvernement et le parti (dont le limogeage de Mgangagwa).

Le soutien de l’armée à Emmerson Mnangagwa serait donc la motivation principale à cette prise de pouvoir ? 

Les militaires, dont le général Chiwenga, se sont dits opposés à ce qu’une personne non issue des rangs de la guerre d’indépendance puisse être à la tête de la Zanu-PF et de l’Etat. C’est un argument qui avait déjà été utilisé contre l’opposition du MDC, et qui a été réutilisé pour viser Grace Mugabe et sa faction, le G40, donc des personnes plus jeunes. Cela n’augure pas forcément très bien pour la suite. Mais cela permet de comprendre les dénégations de coup d’État puisque l’objectif n’est pas de renverser le régime ou Mugabe lui-même, mais bien d’empêcher Grace Mugabe de remplacer son époux et régler ainsi la question de la succession qui jusqu’au limogeage de Mgangagwa restait incertaine.

Les militaires s’inquiètent aussi de la situation économique qui s’est dégradée et de la confiance dans la monnaie qui s’est effondrée. Il y a une convergence des intérêts. Emmerson Mnangagwa a le soutien des milieux économiques, alors que Grace Mugabe les inquiète, car elle a une réputation très sulfureuse et est extrêmement dépensière. L’armée a d’ailleurs fait arrêter le ministre des Finances, qui est un soutien de la Première dame.

Quel sort l’armée va-t-elle réserver à Robert Mugabe ? Peut-il rester au pouvoir ?

Cela semble peu probable. Il est en résidence surveillée, quant à sa femme, elle aurait fui le pays. Mais je pense que rien ne sera fait contre lui : l’armée va garder la figure du père de la nation, à titre purement symbolique, pour montrer qu’elle ne veut pas de rupture, mais plutôt une succession. Il faut aussi souligner que le chef des armées est proche de Robert Mugabe, tout comme d’Emmerson Mnangagwa. Tous les trois sont des vétérans de la guerre d’indépendance. Ils vont vraisemblablement garder Mugabe comme un symbole, Emmerson Mnangagwa devrait vraisemblablement succéder à Mugabe.

Ce n’est pas un coup contre Robert Mugabe, c’est un coup contre Grace Mugabe, ou plutôt un règlement de compte entre les deux factions du parti présidentiel. C’est en quelque sorte un coup d’Etat interne à la Zanu-PF. Ce qui est frappant, c’est que jusqu’à présent toutes les tentatives pour faire quitter le pouvoir à Robert Mugabe sont venues de l’extérieur du parti, soit de la communauté internationale, soir du parti d’opposition MDC.

Faut-il craindre des violences à Harare ou dans le reste du pays ?

Je ne le pense pas. Pour le moment, il n’y a pas de soulèvement de la population. Si Emmerson Mgangagwa veut avoir un minimum de légitimité et si l’économie est en partie un critère pour ce coup d’Etat, il a plutôt intérêt à rassurer les investisseurs et éviter de se mettre à dos la communauté internationale, qui s’inquiète déjà, à l’instar de la SADC (organisation des Etats d’Afrique australe) par la voix de son président, le Sud-Africain Jacob Zuma, et du ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni Boris Johnson.

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