Laser du lundi : Et l’AFP devient un Amas de Fragments et de Particules (AFP) (Par Babacar Justin Ndiaye)

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L’hôtel Terrou-bi est, depuis le jeudi 22 janvier 2015, la nécropole de feue Alliance des Forces du Progrès : AFP. Sur une pierre tombale figée au milieu du gazon bien tondu et légèrement caressé par la brise marine, on pourrait lire  l’épitaphe : «Ci-git un Parti politique fondé en 1999, par Moustapha Niasse, une figure imposante de la vie politique du Sénégal indépendant ». En ce jour (maudit) de présentation des vœux au chef du Parti, l’AFP n’a pas fêté ; elle n’a pas, non plus, agonisé ; elle a plongé subitement dans l’apoplexie puis cassé la pipe en live, devant un parterre d’invités médusés et de journalistes ébaubis.

En effet, les mots grossiers (imbéciles, salopards, diables etc.) tombés des lèvres du Président de l’Assemblée nationale, deuxième personnage de l’Etat,  ont résonné comme une musclée oraison funèbre pour l’Alliance des Forces du Progrès – une formation politique assez respectable sur l’échiquier –  fiévreusement déchiquetée et transformée par ses cadres et ses jeunes, en un Amas de Fragments et de Particules : autre AFP. C’est le crépuscule du senghoriste (pur jus) le plus en vue, non encore retiré de la scène politique ; et toujours actif dans les hautes sphères de la gouvernance de l’Etat ou des Assemblées. Son ainé Mbaye Jacques Diop n’étant ni ministre ni député.

La sortie de l’Histoire a toujours été le casse-tête des monstres sacrés : Napoléon a atterri – malgré le Code civil, la Préfectorale, l’Université et Saint-Cyr offerts à la France– à Sainte-Hélène ; Charles De Gaulle a été désavoué, en avril 1969, par le peuple qu’il a libéré ; et Moustapha Niasse vient d’être psychologiquement terrassé, à Terrou-bi, par des progressistes (ses fils politiques) qu’il a enrôlés, financés, aiguillonnés et positionnés. Ainsi va la politique qui est souvent le cercueil de la fidélité et le cimetière des amitiés.  Il ne s’agit pas d’un coup d’Etat, comme le caractérise, Me Babou (grand connaisseur des arcanes et des dédales de l’AFP) mais d’un chef d’œuvre de déracinement politique et de déstabilisation morale savamment fignolée et exécutée par les deux Malick : Gackou et Guèye. Un parfait et perfide « dessouckage » (le mot est emprunté au créole haïtien) du baobab Moustapha Niasse.

Le coup a été si rude que le dinosaure Moustapha Niasse (près d’un demi-siècle de vie politique intense) a rageusement et publiquement perdu son contrôle. Une bordée d’injures qui a hébété et inquiété le pays. Et, vachement peiné le corps diplomatique. Comment celui qui fut quasiment en osmose avec son patron Léopold Sédar Senghor (homme d’Etat cultivé, courtois et raffiné) a pu tenir ce discours digne du soudard Bokassa ou du rustaud Idy Amine Dada ? Le paradoxe et la preuve sont ainsi  établis qu’il n’a pas beaucoup emprunté au Président Senghor. Plus accablant encore, Moustapha Niasse confirme, par sa propension à la violence verbale et à la fougue gestuelle, certains passages contenus dans le livre-mémoires de l’ex-Président Abdou Diouf.

Dans cet ordre d’idées, nombreux sont les Sénégalais qui poussent, rétrospectivement, un ouf de soulagement. Un épigone des Duvalier (François et Jean Claude) est heureusement arrivé troisième à l’élection présidentielle de mars 2012. Si l’actuel Président de l’Assemblée nationale avait barre sur la Police, la Gendarmerie et le Parquet, Malick Gackou et ses partisans seraient condamnés sans appel puis embastillés sans pitié. Certains signes ne trompent pas. Tel un lion blessé, Moustapha Niasse a rugi : « Celui qui a orchestré tout ceci, le paiera cher. Je le jure devant Dieu, la personne qui a envoyé ces gens-là le paiera ». Une menace, de surcroît,  loufoque au regard du très démocratique crime commis par les cadres et les jeunes du Parti : susciter impérativement une candidature de l’AFP à la présidentielle de 2017. Le but ultime d’un Parti n’est-il pas de conquérir le pouvoir ? En y renonçant, Moustapha Niasse enterre l’engagement militant et anéantit l’ardeur combative. En un mot, il électrocute son Parti.

Toutefois, l’hystérie de Niasse n’est pas dépourvue de vertus ; elle a plutôt le mérite de mettre en exergue les faiblesses congénitales d’une démocratie dont l’acteur dominant, en l’occurrence le Parti,  est, à la fois, une fiction collective et une réalité personnalisée à outrance. A la lumière de l’attitude prise et des arguments avancés, l’AFP est davantage la propriété de son fondateur que la chose de tous les militants. Les paroles du Président Moustapha Niasse, au paroxysme de sa colère, en font foi : « Si un membre du Parti décidait d’être candidat, je ne lui apporterais ni ma caution ni mon soutien ni mon appui financier ni ma bénédiction. Car je respecte la parole donnée. Les relations de travail qui me lient à Macky Sall, aucun diable, aucun imbécile, aucun salopard, aucun ambitieux ne peut les détruire. J’agis par loyauté, je ne cherche pas de prébendes”.

C’est clair comme l’eau de roche : l’appui financier (l’argent) est à l’AFP, ce que le droit de veto est au Conseil de sécurité de l’ONU. Le constat est triste. La démonstration est ainsi faite que l’ennemi numéro 1 de la démocratie s’appelle : l’indigence. En France où le docker de Marseille et l’ingénieur de Renault versent leurs cotisations, François Hollande et Nicolas Sarkozy n’osent pas tenir le discours tyrannique et schizophrénique de Moustapha Niasse.

En analysant la charge verbale de Moustapha Niasse contre les partisans d’une candidature de l’AFP, en 2017, on glisse subrepticement dans le champ spongieux de la psychanalyse. Niasse n’est-il pas profondément affecté par le récit du Président Abdou Diouf qui démontre que le serment sonore et la parole donnée de l’illustre fils de Keur Madiabel, ne l’ont pas empêché d’être candidat en 2000 ? Apparemment : oui. Puisqu’il place maintenant ses relations de travail avec Macky Sall, au-dessus de la vocation naturelle de l’AFP. Une posture à double et vengeresse détente. D’une part, Moustapha Niasse déconstruit, à postériori, la révélation dérangeante de Diouf ; de l’autre, il punit Abdoulaye Wade, l’allié félon, qui avait emprunté puis balancé l’escalier AFP, en recentrant son pouvoir sur le PDS, dès 2001. Bref, la logique de vengeance (adossée à la rancune) commande à Niasse, de réélire Macky Sall, l’infatigable champion d’une traque qui abime le PDS et torture Wade via son fils Karim.

Du reste, le florilège de leçons morales éloquemment servies à Terrou-bi (« le respect de la parole donnée », le sens de la loyauté », le courage de défendre vaille que vaille la vérité…etc. ») fait sourire. Depuis le fameux Appel du 16 juin 1999 – coup d’envoi de sa croisade contre le duo Diouf-Tanor – Moustapha Niasse a été le faiseur de roi et le régicide de la scène politique. En 2000, il a permis au libéral Abdoulaye Wade, de faire électoralement le mur, pour déloger du pouvoir (jusque-là imprenable) sa propre famille politique, solidement installée par son père spirituel, le Président Senghor. Il fit de Wade, un roi. Et dans la foulée, il coula Diouf (un régicide) et  in fine, il implanta durablement la majorité libérale au Sénégal. Idéologiquement, ce fut un parricide commis sur le théoricien du socialisme à hauteur d’homme : Léopold Sédar Senghor.

Devant ce vaisseau fantôme à bord duquel évolue un équipage divisé, que vont faire le chef de l’APR et ses conseillers politiques ? La loyauté – habituellement absurde, fumeuse et contre-productive – suggère de soutenir, contre vents et marées, un Moustapha Niasse affaibli voire affaissé dans sa bagarre contre « les diables, les imbéciles et les salopards » dissidents et nombreux dans l’AFP ou ses débris. En revanche, l’efficacité politique et/ou électorale recommande l’expectative cynique et chronométrée qui permet de négocier, le moment venu, en position de force avec la direction esseulée de l’AFP, puis de récupérer méthodiquement une base relativement large et assez bien ramifiée dans le pays. En tout état de cause, Macky Sall n’a pas besoin d’une AFP dans sa version armée mexicaine, c’est-à-dire avec un Etat-major et sans les bataillons d’électeurs. Après tout, la démocratie sénégalaise postule : un homme égale une voix. Par conséquent, le Recteur – tout comme le balayeur – ne vote pas deux fois.

En définitive, la désagrégation irrémédiable de l’AFP promène, par ricochet, un faisceau de lumières sur le parcours et le style de l’homme public Moustapha Niasse dont la carrière politique et la montée vers le sommet de l’Etat sont, de façon récurrente, desservies par un tempérament volcanique souvent endormi mais jamais éteint. Ce qui explique son aisance manifeste et son ascension remarquable, jadis, durant le monolithisme politique (1963-1974) qui a précédé l’ouverture démocratique. Puissant directeur du cabinet présidentiel, jeune apparatchik constamment coopté au Bureau politique de l’UPS puis du PS, et bretteur coriace du senghorisme dans les débats contradictoires, l’administrateur civil Moustapha Niasse (devenu un orfèvre de la diplomatie) reste une figure emblématique de la social-démocratie sénégalaise.  Avec un destin présidentiel  qu’il met, lui-même, en berne et en lambeaux. Ironie du sort : celui qui fustigeait, hier, le congrès sans débat du PS, impose, aujourd’hui, les décisions sans discussions, à l’AFP.

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