DER-FJ: une clarification nécessaire – réponse à M. Sène

Loin des postures convenues et des débats personnalisés, je tiens à revenir, avec rigueur et sens de la méthode, sur la réponse que m’a adressée M. Cheikh Mbacké Sène à la suite de ma tribune sur l’opération Tabaski conduite par la DER-FJ. Mon propos initial ne visait ni
à dénigrer, ni à provoquer, mais à poser une question essentielle et légitime : où s’arrête une mission institutionnelle, et à partir de quel moment son élargissement devient un facteur de confusion stratégique ? C’est fort d’une expertise éprouvée dans l’action publique que je soulève cette interrogation.
En défendant l’opération Tabaski au
nom de la « proximité», de «l’innovation sociale » et de « l’écoute des populations », la réponse institutionnelle illustre, de manière involontaire mais révélatrice, l’un des travers classiques des politiques publiques : élargir sans limite le périmètre d’action au nom de la demande sociale. On comprend la tentation. Mais il ne suffit pas d’habiller une mesure ponctuelle avec des concepts séduisants pour en faire une orientation stratégique.
Faciliter l’acquisition de moutons à crédit pour une fête religieuse importante ne relève ni de la structuration entrepreneuriale ni de l’investissement productif. Cela correspond à une réponse conjoncturelle, certes populaire, mais détachée de toute logique de transformation économique.
Ce glissement, disons-le franchement, mérite d’être analysé pour ce qu’il est : un brouillage progressif de la vocation d’une institution censée structurer l’entrepreneuriat, finan
l’innovation productive et contribuer à la création de valeur. Gouverner, ce n’est pas céder à chaque émotion collective. C’est faire des choix, définir un cap, garder le cap, même lorsque la pression se fait sentir. L’inclusion
économique ne consiste pas à répondre indistinctement à toutes les sollicitations, mais à identifier les leviers durables de résilience.
J’ai lu, dans la réponse à ma tribune, un réflexe de défense plus qu’une réflexion approfondie. Des chiffres sont avancés, comme les neuf milliards injectés dans la filière élevage ou les milliers de bénéficiaires touchés, mais sans lien réel avec le sujet que j’ai soulevé. Ce que j’interroge, ce n’est pas l’implication générale de la DER-FJ dans l’élevage, mais la justification d’une opération spécifique, périphérique à sa mission, et qui semble avoir été décidée sans cadre d’impact clair ni logique d’évaluation.
Il m’est arrivé, sur le terrain, de voir des attentes déçues naître précisément de ce type de brouillage institutionnel : quand l’État promet tout à tout le monde, il finit par
n’incarner plus rien. Ce que l’on appelle le terrain n’est pas un espace d’exception
où l’on pourrait contourner la logique publique. Il est au contraire le lieu même où cette logique doit être la plus lisible. Nos concitoyens, dans les villes comme dans les campagnes, attendent des institutions claires,
disciplinées, et qui respectent leur mission.
Il faut enfin faire la part des
choses entre régularité administrative et pertinence stratégique. Une opération
peut être conforme aux règles, validée par les corps de contrôle, auditée,
budgétairement planifiée – et pourtant, vide de finalité réelle. Une dépense
publique ne tire sa légitimité ni de son apparente popularité, ni de sa
régularité formelle, mais de sa capacité à répondre durablement à une finalité
définie. Et cette finalité, pour une institution comme la DER-FJ, n’est pas la
réponse à tout, tout le temps, pour tous.
Ce que je défends ici, c’est une exigence de méthode, pas une froide technocratie. Je plaide pour une conception de l’action publique qui repose sur l’intention claire, la logique de mission, la rigueur de mise en œuvre, et l’évaluation sincère des résultats. J’ai vu trop de politiques, en Afrique comme ailleurs, échouer non par manque de volonté mais faute de cadrage. À long terme, ce ne sont ni les gestes populaires ni les slogans qui transforment une société. Ce sont les politiques patientes, alignées, stratégiquement portées.
Je m’exprime ici dans un esprit de
construction, fidèle à la vision de transformation portée par le Président de
la République et son Premier ministre. Nous avons choisi cette voie du renouveau ; il nous revient désormais de la protéger avec exigence, pour que les résultats attendus par le peuple soient au rendez-vous. Car soutenir une ambition historique, c’est aussi veiller à ce qu’aucune dérive ne vienne en détourner le cap.
Cette réponse n’est ni un rejet, ni une mise en accusation. Elle se veut une alerte, un appel à la hauteur.
Peut-être aussi un rappel que toute innovation institutionnelle, aussi bien inspirée soit-elle, perd son sens si elle se détache de sa boussole. Une institution ne se juge pas à sa générosité du moment, mais à sa fidélité à sa
mission. Et à force de vouloir embrasser tout, on finit parfois par diluer l’essentiel. Or, dans une société qui change, le courage de rester centré est peut-être la forme la plus exigeante du progrès.
Hady TRAORE
Expert-conseil
Gestion stratégique et
Politique Publique-Canada
Fondateur du Think Tank :
Ruptures et Perspectives
hadytraore@hotmail.com