Pétrole et gaz du Sénégal: De la malédiction attendue à la bénédiction choisie. (par Par Cheikh Tidiane DIEYE)

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Certains pays fascinent plus que d’autres. Certaines histoires le font tout autant. Je n’ai jamais manqué, lors de mes voyages dans la cinquantaine de pays qu’il m’a été donné de visiter, de m’intéresser à l’histoire des peuples que je rencontre.  Il y en parmi eux, qui m’ont beaucoup fasciné.  Certains m’ont laissé une marque indélébile car, partis de rien, ils ont su saisir leur chance, lorsqu’elle s’est présentée un jour chez eux, pour transformer durablement leurs conditions de vie et déjouer tous les pronostics qui les confinaient dans une misère durable. 
D’autres m’ont déçu. Non pas parce que les vaillants peuples qui y habitent ne méritent pas mon intérêt, mais parce que je ressens, chez eux, une brulante sensation de gâchis quand j’observe l’ampleur du désastre social qui y règne, lui-même fruit du laxisme, du manque de vision, de la paresse et du gaspillage des ressources que la vie leur donne.
Je dois l’avouer, les Emirats Arabes Unis (EAU)  m’ont fasciné par leur histoire. Des 7 émirats, je n’ai vu que Dubaï et ma généralisation peut donc paraitre abusive. Mais j’ai lu l’histoire des 6 autres et appris la façon dont ils se sont regroupés ainsi que les facteurs politiques, sociales et stratégiques qui les ont amenés à être ensemble.
Je ne peux manquer de dire le mérite de ce bout de désert sur le golfe persique qui n’avait que la mer et le sable et dont tout le commerce, souvent en caravanes de chameaux, ne reposait que sur les perles. Ce mérite est encore plus grand quand je compare les EAU Dubaï avec un autre pays que j’ai quitté il y a seulement quelques jours. Il s’agit du géant africain, le Nigeria. Géant à la force inouïe et à la richesse incommensurable, force et richesse utilisées, malheureusement jusqu’ici, au service d’une poignée de privilégiés et non pour le bien-être du peuple.
Le premier est un petit bout de terre réparti sur 7 émirats ayant ensemble moins de 10 millions d’habitants (80% de la population sont des étrangers) pour un PIB par habitant de près de 40.000 dollars. Le second est une fédération de 36 Etats ayant une population avoisinant 180 millions d’habitants. Les deux ont reçu la même chance. Celle de détenir, sous leurs pieds, des réservoirs d’or noir d’une quantité exceptionnelle.
Jusqu’ici, quoi qu’on puisse en dire, le Nigeria n’a presque rien fait de son pétrole. Les milliards de dollars générés par l’exploitation du pétrole sont allés directement dans les comptes bancaires de quelques privilégiés d’hier et d’aujourd’hui, s’ils n’ont pas nourri directement ou indirectement les rebellions et les terrorismes. La gouvernance du pétrole est patrimonialisée et le résultat est dévastateur. De nombreux Présidents, hommes politiques fédéraux et locaux, directeurs de la banque centrale, des administrations en charge du pétrole, cadres de la haute administration etc. se sont enrichis à des niveaux et des conditions scandaleuses. Entre 1993 et 1998, en moins de cinq ans, Sani Abacha avait amassé plus de 2 milliards de dollars, soit plus de 1000 milliards de FCFA. A son arrivée au pouvoir, le Président Bukhari, certainement l’un des présidents les plus intègres qu’ait connu ce pays (il n’avait que 150.000 dollars dans son compte à son arrivée au pouvoir, quelques maisons, une ferme et un cheptel de quelques centaines de têtes de bovins et caprins), a déclaré qu’il manquait près de 150 milliards de dollars dans les caisses de l’Etat.
Vous ne rêvez pas, j’ai bien dit 150 milliards de dollars. Rien qu’avec cet argent tiré du pétrole, le Nigeria aurait pu devenir un véritable Eldorado. Il en est loin.
Au moment où le Nigeria stagne et sombre dans la récession, les Emirats Arabes Unis voient l’avenir en GRAND, en BLEU et en VERT. Grand à l’image de la Tour Burj Khalifa, la plus haute du monde; Bleu pour l’option résolue prise par le pays d’utiliser tout le potentiel de l’économie bleue et de tout ce qui touche à la mer, avec notamment ses projets touristiques futuristes comme Palm Island; et vert comme économie verte basée sur les énergies renouvelables.
Les revenus tirés du pétrole pendant plusieurs décennies ont intelligemment préparé l’après-pétrole. Celui-ci représente maintenant moins de 30% du PIB, contre plus de 70% pour les secteurs industriels et de services (chimie, pétrochimie, dessalement de l’eau de mer, chantiers navals, métallurgie, tourisme, etc.). En 2008, au moment de la crise financière internationale, le Fonds souverain d’Abu Dhabi a quasiment sauvé de la faillite le groupe américain de microprocesseur AMD, en rentrant dans le capital de ce numéro 2 mondial des microprocesseurs. Une option claire pour les technologies du futur. Cerise sur le gâteau, le pays a un excédent commercial qui le place au 4ème rang mondial des pays ayant l’excédent le plus élevé. On n’en finit pas de compter les nombreuses et heureuses initiatives prises par les leaders émiratis pour organiser le présent de leur peuple et préparer son avenir grâce à la gestion stratégique des revenus tirés du pétrole.
C’est pour tout cela que ce pays offre un exemple qui mérite l’attention. Dubaï, le miroir des émirats, fascine. Et ce ne sont pas ses gratte-ciels qui se suivent à l’infini, de part et d’autre de la Sheikh Zayed avenue, qui sont la source de cette fascination. C’est, entre autres, le mariage entre ce développement fulgurant qui ouvre le pays aux pratiques et valeurs les plus avancées de la modernité avec un ancrage profond dans les valeurs et pratiques locales, lesquelles se manifestent, sur la plan vestimentaire, dans le mode ” kandoura”, un “sabador blanc” surmonté de la fameuse “kaala” pour tous les hommes, et la robe longue noire pour les dames.
Chez les émiratis, le pétrole n’est pas une malédiction. C’est une véritable bénédiction. Ils avaient des choix à faire, ils ont fait le bon.
De l’autre coté de mon tableau se trouve le Nigeria. Si tout était normal, une comparaison entre le Nigeria et les Emirats aurait été une insulte pour le premier. Le Nigeria est le 11ème exportateur mondial de pétrole, secteur d’où il tire plus de 90% de ses recettes d’exportation. Si les forages s’arrêtaient de tourner, le Nigeria s’arrêterait aussi de fonctionner. Anecdotique mais révélateur, ce pays qui a plus de 84 millions d’hectares de terres arables importe pour plus de 20 milliards de denrées alimentaires par an pour se nourrir. En 1960, le Nigeria produisait plus d’huile de palme que la Malaisie et plus de cacao que la Cote d’Ivoire. Aujourd’hui il fait pâle figure derrière la Cote d’Ivoire et importe son huile de la Malaisie. C’est qu’il avait négligé son agriculture lorsqu’il a découvert le pétrole. Grave erreur qui se paye aujourd’hui cash. Et c’est bien dommage pour ce brave peuple trahi par ses dirigeants.
Entre les Emirats et le Nigeria, le Sénégal qui va bientot rentrer dans l’ère de l’exploitation du pétrole et du gaz garde encore toutes ses cartes en main. Je ne suis pas de ceux qui pensent que tout est joué d’avance, même si, visiblement, ça semble déjà mal parti, au regard des actes de mal gouvernance manifestes posés à ce jour. Nous pouvons encore rectifier le tir et batir un consensus national fort et stable sur le Pétrole et le Gaz au delà des clivages politiciens stériles et incapacitants et bien au delà du comité d’orientation stratégique du Président de la République qui risque d’être un simple club fermé de quelques amis qui va réfléchir tout seul, décider tout seul et se tromper tout seul.
Il ne faut pas attendre de voir les premiers barils et recevoir les premiers revenus pour chercher à savoir ce que l’on en fait. Le post-pétrole doit se préparer avant le pétrole. Un spécialiste m’a expliqué qu’en dehors des revenus directs tirés du pétrole, les métiers liés au pétrole, qui sont des centaines, pourraient générer jusqu’à 1800 milliards de FCFA par an et des milliers d’emplois. Les compétences qui formeront ces emplois devront être créées et formées dans des écoles, instituts et universités qui n’existent pas encore. C’est là que se trouvent nos priorités.
Les peuples comme les individus, ont toujours la faculté et le libre arbitre pour choisir ce qui est bien et se tracer leur propre voie. Nous avons vécu depuis l’indépendance sans pétrole ni gaz, faisant face à d’insondables défis mais manifestant une remarquable résilience. Qui a vécu dans la pauvreté durable doit avoir l’intelligence de s’en extraire durablement lorsque Qu’Allah, dans sa miséricorde, lui donne la possibilité de le faire.
Nous pouvons faire du pétrole et du gaz une véritable bénédiction pour nous-mêmes, nos enfants et petits enfants. Inspirons-nous sans complexe de ceux qui ont fait les bons choix.

Par Cheikh Tidiane DIEYE
Docteur en Etudes du Développement
Membre Fondateur de la Plateforme Avenir « Senegaal bi ñu bëgg »

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