Me Assane Dioma Ndiaye, avocat : “Il n’est pas exclu que Deby soit traduit devant les juridictions”

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Me Assane Dioma Ndiaye, avocat des victimes tchadiennes présumées de Habré, n’exclut pas une traduction devant la justice de l’actuel Président tchadien. Seulement, cette éventualité est assujettie à la condition qu’il ne soit plus au pouvoir, d’après l’avocat. Expliquant le déroulement du procès de Habré, l’avocat sénégalais déplore le coup d’Etat du général Gilbert Diendéré et de ses hommes au Burkina et invite la communauté internationale à la fermeté devant de pareilles situations.

Le procès de Hissein Habré s’est ouvert il y a de cela une quinzaine de jours. Faites-nous brièvement l’économie de ce procès qui tient en haleine l’Afrique.
C’est un combat que l’humanité s’est assignée depuis la Seconde guerre mondiale. C’est faire en sorte que toutes les atrocités commises soient jugées. Quand Monsieur Hissein Habré a quitté le pouvoir en 1990, les victimes, principalement celles dont les membres de leurs familles ont péri dans ce qu’il est convenu d’appeler une police politique, une des plus redoutées que l’humanité ait connue et instaurée par Hissein Habré, ont estimé que Monsieur Hissein Habré ne pouvait pas échapper à la justice. Et ces mêmes victimes ont revendiqué le droit de voir leur cause être entendue par un Tribunal. Et beaucoup perdent de vue le fait que c’est Hissein Habré qui est venu se refugier au Sénégal. Parce que quand on parle du Sénégal, on a tendance à croire que c’est le Sénégal ex-nihilo qui s’est arrogé le droit de le juger. Si Hissein Habré n’avait pas trouvé refuge au Sénégal, évidement, aujourd’hui on ne parlerait pas de procès de Hissein Habré au Sénégal. Peut-être on en parlerait, mais ailleurs.
C’est par un concours de circonstances que le Sénégal a été obligé de juger Hissein Habré et surtout rappeler que le Sénégal a été signataire de la Convention de 1984 contre la torture qui l’oblige à juger toute personne qui se réfugie sous sa juridiction. Cette convention oblige tout pays qui l’a ratifiée, en cas d’allégation de torture, de juger ou d’extrader. C’est pourquoi la Belgique, qui avait émis un mandat d’arrêt, avait attrait le Sénégal devant la Cour pénale internationale de justice. Et la Cour pénale internationale de justice avait donné mise en demeure au Sénégal de juger Hissein Habré ou de l’extrader.
Si le Sénégal persistait dans son refus de le juger, il n’aurait aujourd’hui d’autre choix que de l’extrader vers la Belgique. Et cela contreviendrait à la revendication de certains Africains qui estiment que nous devons nous-mêmes juger nos propres fils, et indépendamment de ces faits, l’humanité a aménagé deux faits importants. C’est le principe de la compétence universelle et celui de l’imprescriptibilité des crimes tels que ceux de guerre et le génocide. Et l’affaire Habré cristallise de manière idéale ces deux principes. Il faut se féliciter que l’Afrique ait pu relever un défi qui paraissait être une gageure : soutenir un droit international. Même le Conseil de sécurité n’a pas réussi avec l’affaire Charles Taylor. Pour le procès de Charles Taylor, la Sierra Leone avait été ordonnée de l’organiser.
Le procès de Habré se tient normalement. Il y avait beaucoup de craintes. D’abord, le fait de la rupture de la territorialité. Les principaux témoins et les principales victimes sont au Tchad. Le silence observé par Habré est une difficulté que nous rencontrons dans ce procès.

C’est comme si le procès se fait à charge contre Habré. Il n’y a que des témoins à charge…
Les témoins défilent à la barre et du point de vue du débat contradictoire, l’exigence est respectée. Des avocats ont été commis d’office au nom de l’intérêt de la justice, mais aussi de la loi sénégalaise. Notre législateur a fait le pari d’instituer le caractère obligatoire de la présence d’un avocat en matière d’Assisses.
On est au-delà de la volonté d’un accusé. Au Sénégal, un accusé ne peut pas dire : «Je ne veux pas de la présence d’un avocat.» Cela c’est discutable. On pourra à l’avenir, dans le cadre d’une évaluation, penser à une réforme du Code de procédure pénale, parce que beaucoup de voix s’élèvent pour dire qu’on ne peut pas obliger quelqu’un à être défendu par un avocat qui ne relève pas de son choix. C’est la disposition qui est prévue par le Code de procédure pénale.
La présence forcée de Habré aux audiences ne veut pas dire violence. C’est la Cour qui décide de la présence ou non de Habré. Elle a décidé par opportunité de faire comparaître Hissein Habré. Nous sommes dans le cadre d’un procès international qui requiert le respect des droits de la défense. Nous sommes à l’état des témoins de contexte. Si nous sommes en droit national, c’est des témoins que nous ne connaissons pas. Nous, nous connaissons les témoins de fait. C’est-à-dire celui qui a entendu, vu  ou assisté à la scène criminelle. Et là, on est devant des personnes qui sont là pour camper le débat. Ce jugement sera sans doute l’un des plus exemplaires que la justice ait pu rendre, parce que la Cour a commis des experts graphologues, des statisticiens, des historiens… Dans les jours à venir, nous aurons des acteurs-clés qui étaient sous la direction de Habré et après les victimes.
Dans la tradition de la justice belge, les juges d’instruction font l’instruction et témoignent. Dans les textes des Cae, il est dit que le juge peut faire recours à des travaux déjà faits. Nous sommes dans le cadre d’un procès contradictoire.

Où est la présomption d’innocence d’autant plus qu’une prison a été déjà construite ?
Il est clair que Hissein Habré n’est pas encore coupable. Notre rôle est extrêmement difficile dans cette affaire. Nous sommes au cœur de ces violations, nous les documentons. Le problème, c’est que le Sénégal n’était pas préparé à ce genre de procès. Les prisons sénégalaises ne répondent pas aux normes. Le Sénégal était obligé de l’amener au niveau du Pavillon spécial, en attendant de pouvoir aménager un lieu de détention qui soit conforme aux standards internationaux. C’est dans ce cadre qu’on a aménagé au niveau de la prison du Cap Manuel des locaux qui ne sont en fait qu’une «conformisation» du Sénégal par rapport aux standards internationaux pour permettre à Hissein Habré d’avoir des conditions de détention conformes à son statut d’ancien chef d’Etat.
Ce n’est pas un procès à charge. Le témoin, qui est appelé à comparaître, peut parler à charge ou à décharge.

Peut-on parler de procès équitable, parce que Habré n’était pas seul ?
La Dds était directement rattachée à la Présidence. Même un interprète à la Dds était nommé par Hissein Habré. Cette Dds fonctionnait sous les ordres de Hissein Habré. Elle était considérée comme l’œil et les oreilles de Hissein Habré. Elle était chargée de traquer les ennemis du Tchad, aussi bien à l’étranger qu’à l’intérieur du Tchad. Nous avons des documents qui montrent que des sections de la Dds ont opéré en Côte d’Ivoire, au Bénin.
La Dds agissait directement sous la responsabilité de Habré. Younouss Saleh a avoué qu’un directeur pouvait arrêter de petites personnes, mais si une personne d’ethnie adjaraï était arrêtée, seul Hissein Habré pouvait ordonner sa libération. C’était la chose de Hissein Habré. 90% des dossiers que nous possédons tournent autour de la Dds ; en plus seul Hissein Habré était au Sénégal. La justice internationale, c’est une justice d’exemple. On suppose que c’est des crimes qui ne peuvent être que commis sous la responsabilité du chef de l’Etat. Cela aurait été grave qu’on juge les seconds et qu’on laisse Habré. C’est une des faiblesses de la justice, certains vont échapper. Tous les directeurs de la Dds sont en prison au Tchad.

Et Deby ? Il a été collaborateur de premier plan de Habré…
Deby n’a pas encore échappé. Il bénéficie de privilèges de fait, mais pas de droit. Les statuts des Cae règlent le cas. En un certain moment, il faut être réaliste. Il y a le cas du Président Béchir. Depuis dix ans, la Cour pénale cherche à le juger en vain. Il reste le cas de Deby. Si demain il n’est plus au pouvoir, des victimes aidées par des organisations de droits de l’Homme pourront faire en sorte que Deby soit jugé.

Est-ce qu’on peut s’attendre à d’autres crimes comme le génocide ?
Cela a été définitivement écarté par les Cae. Dans le cas du Tchad, cela a été complexe. Il semble qu’il n’a pas été possible d’établir un plan d’élimination ethnique par Hissein Habré.

Votre avis sur le coup d’Etat survenu au Burkina…  
C’est l’Afrique qui renoue avec ses démons. C’est l’impunité qui a toujours régné en Afrique, qui a toujours permis que ces choses puissent arriver. Ce sont des choses qui n’arrivent jamais en Europe depuis la Révolution de 1789. Donc, si des officiers, si des groupuscules se permettent, à des moments donnés,  d’interrompre l’ordre constitutionnel d’un pays, c’est parce qu’ils sont assurés que rien ne pourra leur arriver. Et cela a toujours été le cas. Et chaque fois que des coups pareils se produisent, l’objectif n’est pas de les sanctionner, mais de négocier avec eux. Et ils s’aménagent un temps plus ou moins long de rester au pouvoir et la communauté internationale se satisfait éventuellement d’une sortie de crise qui pourrait aboutir d’ici deux, trois ans à venir. Pendant ce temps, on aura bouleversé toute la marche démocratique d’un pays. C’est pourquoi pour la première fois nous nous réjouissons de la position ferme adoptée par l’Union africaine (Ua) qui, même sans attendre d’éventuelles négociations, décrète la suspension des putschistes et le gel de leurs avoirs. Et cela, c’est extrêmement important.
Nous avons besoin de ces positions fermes, car on ne peut pas laisser les populations servir de chair à canon et en même temps trouver des solutions complaisantes, cataloguées de solutions de sortie de crise qui, en fait, ne servent qu’à cautionner des coups de force et qui encouragent demain la réitération de tels actes.
Aujourd’hui, la communauté internationale doit être ferme, le Conseil de sécurité des Nations unies, la communauté européenne, la communauté américaine, tout le monde doit se joindre à la décision de l’Union africaine pour qu’un embargo soit décrété autour de ces personnes, en veillant à ce que les populations civiles ne puissent pas souffrir outre mesure de sanctions qui pourraient être draconiennes. Il serait plus indiqué que le Président Macky Sall se range sur la décision prise par l’Union africaine.
La   société civile burkinabè est dans sa logique de sauvegarde à tout prix de l’ordre démocratique au Burkina, du droit des populations à disposer d’elles-mêmes. S’il y a une démarche cohérente de la communauté internationale, de toutes ces parties, très rapidement ces militaires vont céder. C’est  un test grandeur nature. Il faut qu’à partir de ce qui se passe aujourd’hui au Burkina Faso, qu’on ait désormais une jurisprudence qui ne pourra plus être remise en cause. De la gestion que nous ferons de cette crise dépendra l’avenir de ces coups de force anticonstitutionnels en Afrique. Il serait même souhaitable de mettre sur pied une force d’intervention qui va ramener l’ordre constitutionnel en cas de coup de force perpétré par les militaires.

badiallo@lequotidien.sn

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