Loi interprétative du Pastef sur l’amnistie: Une démarche sous le feu des critiques

La proposition de loi interprétative sur l’amnistie, initiée par le parti Pastef, suscite une vive polémique au sein de la classe politique sénégalaise. Présentée comme une clarification du champ d’application de la loi d’amnistie adoptée en 2024, cette initiative est critiquée pour son caractère jugé partisan et son manque de clarté juridique.
Un texte qui introduit de nouvelles ambiguïtés
L’objectif affiché de cette loi interprétative est de limiter l’amnistie aux infractions ayant une motivation exclusivement politique. Toutefois, cette précision soulève un problème fondamental : comment déterminer avec certitude qu’un acte répréhensible a été commis dans un but strictement politique ? Cette question, soulevée notamment par Thierno Alassane Sall, leader de la République des Valeurs, met en lumière les difficultés d’application d’un tel texte.
Selon lui, une telle distinction risque d’ouvrir la voie à une interprétation subjective et variable en fonction des circonstances et des acteurs impliqués. « Qui décidera du caractère politique d’une infraction ? Les tribunaux ? Les hommes politiques ? » s’interroge-t-il, dénonçant une « grande farce » qui pourrait fragiliser l’État de droit.
Le risque d’une justice à deux vitesses
Un autre point de discorde concerne le traitement différencié des acteurs impliqués dans les événements ayant conduit à l’amnistie. En effet, cette loi pourrait bénéficier aux manifestants, qui pourraient invoquer leur engagement politique pour être exonérés de poursuites, alors que les forces de l’ordre, agissant dans l’exercice de leurs fonctions, ne pourraient pas en faire autant. Cette asymétrie inquiète certains observateurs qui y voient une atteinte au principe d’égalité devant la loi.
Par ailleurs, en maintenant la loi d’amnistie de 2024, des actes de grande gravité, comme l’incendie du bus de Yarakh, pourraient se retrouver couverts par cette mesure si leurs auteurs revendiquent une motivation politique. Pour les détracteurs de cette initiative, il s’agit ni plus ni moins d’une porte ouverte à l’impunité.
Un débat politique sous tension
Au-delà des considérations purement juridiques, cette proposition de loi interprétative s’inscrit dans un climat politique déjà marqué par de fortes tensions. Certains y voient une manœuvre visant à protéger des militants du Pastef tout en maintenant la pression sur d’autres acteurs politiques. D’autres estiment qu’il s’agit d’une tentative d’instrumentalisation de la justice à des fins partisanes.
Face aux nombreuses critiques, les partisans du texte défendent une volonté de clarification et d’équité. Mais la controverse autour de cette initiative illustre les profondes divisions au sein de la scène politique sénégalaise et les défis liés à la réconciliation nationale après les crises récentes.
La proposition de loi interprétative du Pastef, loin de faire consensus, soulève de nombreuses interrogations sur son applicabilité et son impact sur la justice et la gouvernance. À l’heure où le Sénégal cherche à tourner la page des tensions passées, cette démarche pourrait paradoxalement raviver les dissensions. Reste à voir comment les institutions et les acteurs politiques géreront cette nouvelle polémique dans les semaines à venir.
Attention à l’effet boomerang
En voulant restreindre l’amnistie à certaines catégories d’infractions, les gens de Pastef risquent d’ouvrir une boîte de Pandore. D’une part, cela pourrait fragiliser la portée juridique de la loi d’amnistie en introduisant des distinctions difficiles à appliquer. D’autre part, cette initiative pourrait se retourner contre eux : si une nouvelle majorité ou une autre interprétation politique venait à revoir ces critères, certains de leurs propres militants ou sympathisants pourraient se retrouver exclus du bénéfice de l’amnistie.
L’effet boomerang est d’autant plus probable que cette démarche alimente les accusations de justice sélective et d’instrumentalisation politique. En cherchant à clarifier la loi, le Pastef risque en réalité de donner des arguments à ses opposants et d’alimenter les divisions. Dans ce contexte, la prudence semble de mise pour éviter que cette tentative ne se transforme en piège politique.
Babou Biram Faye