L’Afrique au prisme des recompositions géostratégiques contemporaines: entre convoitises externes et quête de souveraineté

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Depuis plusieurs décennies, l’Afrique fait l’objet d’une attention renouvelée de la part des puissances mondiales. Si cette dynamique peut paraître nouvelle dans sa forme, elle s’inscrit dans une continuité historique marquée par les logiques de domination, d’exploitation et d’instrumentalisation du continent dans les grands équilibres internationaux. Aujourd’hui, dans un contexte de fragmentation du système international et de transition vers un ordre multipolaire, l’Afrique apparaît comme un enjeu géostratégique majeur, à la croisée des intérêts économiques, sécuritaires, environnementaux et numériques.

La théorie des relations internationales, en particulier les approches réalistes et néo-réalistes, permet de comprendre cette reconfiguration des rapports de puissance.
Le continent africain, en raison de ses abondantes ressources naturelles (minerais rares, hydrocarbures, terres arables), de sa jeunesse démographique (près de 60 % de la population a moins de 25 ans), et de ses perspectives de croissance économique, représente un espace stratégique de premier plan pour les grandes puissances. Celles-ci cherchent à y sécuriser leur avenir énergétique, à élargir leurs marchés ou à renforcer leur influence dans les instances internationales.

La diversification des acteurs : vers une compétition élargie

L’un des traits marquants de la phase actuelle réside dans la diversification des puissances impliquées sur le continent. Si les anciennes puissances coloniales (France, Royaume-Uni, Belgique, etc.) conservent une présence significative, notamment à travers des accords de coopération militaire ou des entreprises transnationales, de nouveaux acteurs s’imposent avec vigueur.

La Chine, par exemple, est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique, investissant massivement dans les infrastructures via l’Initiative “la Ceinture et la Route” (BRI). Pékin adopte une approche dite pragmatique, fondée sur le principe de non-ingérence, mais dont les conséquences sur l’endettement, la gouvernance et la souveraineté des États partenaires suscitent un débat croissant (Brautigam, 2020).

La Russie, de son côté, renforce sa présence à travers des accords sécuritaires avec des pays en crise comme la République centrafricaine ou le Mali, en s’appuyant notamment sur des acteurs non étatiques tels que le groupe paramilitaire Wagner. Les États-Unis, quant à eux, tentent de contrebalancer l’influence sino-russe à travers des initiatives telles que “Prosper Africa” ou le renouvellement de partenariats stratégiques, en particulier dans la région sahélienne.

Des logiques de dépendance renouvelées ?

Ces dynamiques contemporaines ne sont pas sans rappeler les critiques formulées par les théoriciens de la dépendance (Frank, 1969 ; Amin, 1973), selon lesquels les relations économiques inégales prolongent des structures de domination historiques. Malgré la diversification des partenariats, la majorité des économies africaines reste dépendante de l’exportation de matières premières non transformées, les rendant vulnérables aux fluctuations des marchés mondiaux.

La notion de “recolonisation économique”, évoquée par plusieurs intellectuels africains contemporains, traduit cette inquiétude face à des formes de domination renouvelées, où les leviers de pouvoir sont moins militaires que financiers et technologiques. Elle interroge la capacité réelle des États africains à déterminer de manière autonome les trajectoires de leur développement.

L’émergence d’une diplomatie africaine multiscalaire

Face à ces tensions, plusieurs États africains cherchent à se positionner en acteurs stratégiques, en diversifiant leurs alliances et en renforçant les mécanismes d’intégration régionale. La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), portée par l’Union africaine, incarne cette volonté de bâtir une souveraineté collective à l’échelle continentale.

Le rôle croissant des communautés économiques régionales (CEDEAO, SADC, EAC…) dans la gestion des crises, la promotion de l’industrialisation et la consolidation de l’État de droit est également révélateur d’une diplomatie multiscalaire plus affirmée. Toutefois, ces efforts se heurtent à des contraintes structurelles persistantes : fragmentation politique, faiblesse des institutions, corruption systémique, mais aussi pressions géopolitiques externes.

Loin d’être une simple périphérie passive, l’Afrique est aujourd’hui un champ d’affrontement stratégique où se joue une partie du futur de l’ordre mondial. Les convoitises qu’elle suscite traduisent moins une reconnaissance de sa puissance actuelle qu’une volonté de capter son potentiel à venir.

Dans ce contexte, la construction d’une autonomie stratégique africaine passe par plusieurs leviers : le renforcement de la gouvernance, la transformation locale des ressources, l’investissement dans l’éducation et les compétences, ainsi qu’une coopération Sud-Sud plus solidaire. Il s’agit, en définitive, de faire de l’Afrique non plus un objet des relations internationales, mais un sujet à part entière — un acteur capable de peser sur les règles du jeu mondial, plutôt que de les subir

Par Mamadou M DIOUF expert en sécurité nationale diplômé au Centre des Hautes Études de Defense et de Sécurité CHEDS, Certifié en Gestion de Crise.

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