Affaire Azoura: une lecture politique au-delà de la polémique

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L’actualité politique sénégalaise a été secouée ces derniers jours par l’arrestation d’Azoura Fall, militant historique de Pastef
et proche collaborateur du Premier ministre Ousmane Sonko. Cette affaire, née
d’une vidéo virale où il tient des propos particulièrement virulents, a rapidement pris une ampleur nationale. Non pas tant par le contenu en lui-même, mais par ce qu’il révèle en creux: un flottement, une absence de réflexe politique structuré, un défaut d’anticipation.

Face à cette secousse, ni le parti, ni ses relais organiques n’ont su encadrer le récit. Et c’est dans ce silence, dans ce vide laissé par une machine partisane en veille, que l’affaire a glissé du fait
divers à la crise de perception.

Azoura Fall n’est pas un anonyme. Il incarne une loyauté militante rare, une figure de la résistance au sein du mouvement, un nom associé aux combats les plus éprouvants menés par le parti. Sa proximité avec le Premier ministre, son passé carcéral, son exposition médiatique : tout cela confère à ses faits et gestes une portée politique qui dépasse sa seule personne. Et c’est précisément ce qui rend sa sortie problématique. En s’exprimant dans un moment d’emportement, il a engagé, malgré lui, une partie de l’image du pouvoir. Ce type d’incident, dans un contexte de forte attente
citoyenne, devient rapidement un test de cohérence, d’autorité et de maturité.

Or, dans cet épisode, Pastef n’a pas pu — ou su — tenir son rôle politique. Le récit a été dicté ailleurs. L’opinion a été laissée sans cadrage. Les soutiens, désorientés. Il n’y a pas eu de cellule de crise visible, pas de parole structurée, pas de doctrine exprimée. Cette affaire a mis à nu une fragilité bien plus large : depuis plusieurs mois, le
parti s’est presque entièrement consacré à l’exercice du pouvoir, au point de se détacher de sa fonction politique première. Les cadres sont mobilisés, les ministres à la tâche, l’appareil de l’État en fonctionnement. Mais l’espace politique — celui de la doctrine, du récit, du lien avec les bases — s’est peu à peu
désertifié.

Durant les années de braise, dans les moments d’opposition, ce sont les activistes, influenceurs et voix engagées de la société civile qui ont occupé le terrain politique avec courage et détermination. Ils ont joué un rôle déterminant dans la mobilisation, dans la
riposte, dans la diffusion de la parole alternative. Ils ont été, en quelque sorte, les poumons d’un parti empêché d’agir pleinement. Mais cette dynamique, aussi utile fut-elle dans le contexte d’avant, ne peut se substituer à une structure partisane organisée lorsque le pouvoir est en responsabilité. L’État
ne peut reposer sur des figures extérieures, aussi loyales soient-elles. Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est pas la voix de l’indignation, mais celle de la doctrine. Pas le verbe de l’opposition, mais le cadrage de la gouvernance.
C’est le rôle d’un parti politique. Et c’est précisément ce rôle qui est aujourd’hui en retrait.

Ce basculement vers l’administratif est
compréhensible. Il est même, en partie, nécessaire. Gouverner exige du sérieux,
de la concentration, du temps. Mais lorsque la part politique du mouvement se met en veille, lorsqu’il ne reste que la machine étatique, alors le pouvoir se retrouve nu, sans relais, sans protection, sans amortisseur. Toute erreur, tout excès, tout incident devient une vulnérabilité systémique.

L’affaire Azoura aurait pu être contenue, recadrée, replacée. Elle aurait pu faire l’objet d’une gestion coordonnée entre les cercles politiques et institutionnels. Mais il a manqué cette interface essentielle : un parti vivant, organisé, en capacité de prendre la parole,
d’orienter la lecture publique, de situer le moment dans la trajectoire du projet. Ce manque n’est pas conjoncturel. Il est structurel. Et c’est pour cela qu’il faut le prendre au sérieux.
Tous les régimes nés d’un fort engagement militant connaissent ce défi : celui de passer de la résistance à l’administration sans
perdre leur âme politique. Beaucoup échouent. Ils s’absorbent dans la gestion,
confient tout à l’État, et laissent mourir le parti. Ils s’éloignent de la rue, du verbe, du sens. Pastef ne doit pas suivre cette pente. Car ce qui a porté ce mouvement, ce qui a convaincu des millions de Sénégalais, ce n’est pas seulement une promesse de bonne gouvernance, c’est une parole forte, une
présence, une éthique de rupture.

Aujourd’hui, il faut restaurer cet équilibre.
Réactiver les canaux politiques. Structurer une parole organique, indépendante
de l’agenda institutionnel. Mettre en place une cellule d’analyse et d’anticipation. Redonner au parti son souffle propre. Pastef ne peut pas être uniquement un outil de conquête devenu silencieux une fois le pouvoir atteint.
Il doit être une force politique permanente, capable de guider, d’éclairer, de tempérer, de corriger.

Cela suppose aussi un rapport plus exigeant à la ommunication interne. Des figures engagées comme Azoura, marquées par des
années de lutte, méritent un accompagnement, une attention, un encadrement. Il ne s’agit pas de brider, mais de prévenir. D’aider chacun à passer du temps du combat au temps de la responsabilité. Sans cela, d’autres affaires surgiront,
et le pouvoir sera chaque fois pris à revers par sa propre histoire.

Il serait injuste de voir dans ce texte une prise de distance. Il n’y en a aucune. Ce regard est celui d’un soutien fidèle, mais exigeant

L’affaire Azoura n’est pas une fin. Elle peut être un tournant. Une alerte utile. À condition que le parti en tire les conséquences,
non pas dans l’urgence, mais dans la stratégie. Reprendre la main, réactiver le
politique, structurer l’avenir : voilà le chantier. Et c’est à ce prix que le pouvoir en place pourra non seulement gouverner efficacement, mais inscrire son projet dans la durée, avec la légitimité renouvelée de ceux qui savent apprendre, corriger, et avancer.


Hady TRAORE
Expert conseils
Gestion stratégique et Politique Publique
Fondateur du Think Tank «Ruptures et Perspectives» – Canada
hadytraore@hotmail.com

 


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