Planification territoriale: l’indispensable coordination des politiques publiques

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Entre cloisonnement institutionnel et absence de pilotage par les résultats, la planification territoriale reste marginalisée. Il est temps de bâtir une gouvernance concertée et efficace pour répondre aux besoins réels des territoires.
Alors que les politiques publiques continuent de se concevoir principalement à l’échelle centrale, une réalité s’impose avec insistance : leur mise en œuvre concrète s’opère sur les territoires. Or, ces derniers ne sont pas de simples réceptacles, mais des espaces vivants, porteurs de contraintes spécifiques et de dynamiques propres. À ce titre, la prise en compte des réalités territoriales dès la conception des politiques devient une exigence, non un luxe.
La région, en tant qu’échelon intermédiaire entre l’État central et les collectivités locales, représente une interface stratégique pour traduire les ambitions nationales en actions concrètes territorialisées. Encore faut-il que les orientations centrales soient claires et que les objectifs opérationnels attendus soient clairement et précisément définis. Ce n’est que dans ces conditions préalables que les territoires peuvent réellement s’aligner et contribuer efficacement à la mise en œuvre des dites politiques.
Prenons l’exemple d’une politique de souveraineté alimentaire. Si l’État projette de faire passer l’autosuffisance en riz de 30 % à 50 %, il faudrait que chacune des régions productrices de riz (Saint-Louis, Ziguinchor, Kolda, Matam …) sache quelle part elle est censée produire, avec quels moyens, et dans quels délais. Or, trop souvent, ces données ne sont ni partagées, ni débattues, ni adaptées localement. On assiste alors à une multiplication d’acteurs et d’activités, certes visibles, mais souvent déconnectés des résultats escomptés.
Le déficit de pilotage par les résultats est manifeste. Les services déconcentrés, faute d’outils et d’indicateurs adaptés, se bornent à recenser les projets mis en œuvre sans en mesurer l’impact réel. Pourtant, ce qui compte, ce n’est pas le montant investi, même s’il atteint des centaines de milliards, mais bien son effet sur les indicateurs sociaux et économiques. C’est là que se joue la pertinence de l’action publique.
Un autre mal profond réside dans le cloisonnement des démarches de planification. Les ministères élaborent leurs plans sectoriels, cartes scolaires, programmes d’infrastructures, choix de sites de forage, souvent sans concertation avec les élus locaux. Cette logique descendante, centrée sur l’expertise technique, néglige l’ancrage territorial et l’intelligence contextuelle des collectivités.
Les conférences territoriales, censées corriger ces dysfonctionnements, restent largement sous-exploitées. Organisées trop tard dans le calendrier budgétaire ou réduites à de simples formalités, elles n’assurent pas le dialogue structurant pourtant indispensable entre les acteurs. Si elles étaient pleinement opérationnelles et tenues dès le dernier trimestre de l’année (entre octobre et décembre), elles pourraient devenir de véritables plateformes d’alignement stratégique. Les collectivités y exprimeraient leurs priorités, les services techniques en évalueraient la faisabilité, et les partenaires techniques et financiers pourraient ajuster leur appui en fonction des compromis identifiés. Ainsi, une planification intégrée, associant l’ensemble des parties prenantes, devient incontournable. Cette démarche inclusive devra s’accompagner d’évaluations périodiques, étayées par des rapports d’étape axés sur les résultats atteints plutôt que sur les seules activités réalisées. L’objectif est d’assurer un alignement constant avec les cibles globales fixées.
Aujourd’hui, trois types de planification coexistent sans réelle articulation :

  1. La planification sectorielle de l’État, souvent bien financée mais peu connectée aux dynamiques locales.
  2. La planification territoriale des collectivités, participative mais sous-dotée.
  3. La planification des partenaires au développement, autonome et parfois déconnectée des priorités locales ou nationales.
    Cette fragmentation est source d’inefficacité, de redondances et de gaspillage de ressources. Plus grave encore, elle empêche toute évaluation cohérente des avancées et freine l’atteinte des objectifs de développement. Il devient donc impératif d’instaurer un système de planification concertée, reposant sur des engagements partagés, des responsabilités bien définies et un suivi rigoureux. Réunir les acteurs une fois l’an ne suffit plus. Il faut passer d’un état des lieux rétrospectif à une gouvernance proactive, ancrée dans la co-construction et la coordination permanente.
    Tant que la planification restera éclatée, que les décisions continueront d’ignorer les dynamiques locales, que les priorités ne seront pas co-élaborées, nous continuerons d’accumuler les mêmes erreurs, année après année. Le pays aspire à des solutions durables. Cela exige un changement de paradigme : faire de la coordination un principe structurant, non une variable d’ajustement.
    Libasse Sow, Économiste

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