Le coût du silence et l’ère de la terreur (Sobel Dione )

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Au Sénégal, un pays autrefois salué pour sa stabilité démocratique et sa liberté d’expression, une ombre inquiétante s’étend sur le paysage politique et social. Le coût du silence devient de plus en plus lourd à porter, alors que l’ère de la terreur s’installe, marquée par des règlements de compte politiques, une chasse aux sorcières et une répression croissante des voix dissidentes.
‎Les récents événements politiques au Sénégal ont révélé une facette troublante de la gouvernance, où les opposants sont systématiquement ciblés et marginalisés. Les accusations de corruption et de trahison, souvent sans preuves tangibles, sont devenues des outils pour discréditer et affaiblir les adversaires politiques. Cette stratégie, bien que non nouvelle dans le jeu politique, a atteint un niveau alarmant, créant un climat de peur et de méfiance parmi les citoyens.
‎Les arrestations et les poursuites judiciaires à l’encontre de figures de l’opposition sont perçues par beaucoup comme des tentatives de museler toute forme de contestation. Ces actions, loin de renforcer l’État de droit, semblent plutôt servir des intérêts politiques à court terme, érodant ainsi la confiance du public dans les institutions démocratiques.
‎La chasse aux sorcières, métaphore de la persécution des voix critiques, est devenue une réalité tangible pour de nombreux Sénégalais. Les journalistes, en particulier, sont en première ligne de cette répression. Des reporters et des éditorialistes, connus pour leur indépendance et leur courage, se retrouvent derrière les barreaux, accusés de délits allant de la diffamation à la menace à la sécurité nationale.
‎Ces emprisonnements, souvent arbitraires, envoient un message clair à la société civile : la dissidence ne sera pas tolérée. Les conséquences sont dévastatrices pour la liberté de la presse, un pilier fondamental de toute démocratie. Les médias indépendants sont contraints de naviguer dans un champ de mines, où chaque mot est scruté et chaque reportage peut mener à des représailles.
‎La liberté d’expression, autrefois un droit inaliénable au Sénégal, est aujourd’hui confisquée. Les lois sur la cybercriminalité, initialement conçues pour protéger les citoyens, sont désormais utilisées pour censurer et contrôler le discours public. Les réseaux sociaux, plateformes de mobilisation et de débat, sont surveillés de près, et les utilisateurs risquent des poursuites pour des publications jugées offensantes ou subversives.
‎Cette répression s’étend bien au-delà des médias traditionnels. Les manifestations pacifiques sont souvent réprimées avec force, et les militants des droits de l’homme sont harcelés et intimidés. La société civile, pilier de la démocratie, est muselée, privant les citoyens de leur droit fondamental à s’exprimer et à se rassembler librement.
‎La société civile, composée d’organisations non gouvernementales, de syndicats, d’associations et de citoyens engagés, est essentielle pour garantir la transparence et la responsabilité des gouvernements. Au Sénégal, cette composante vitale est de plus en plus contrainte. Les organisations qui osent critiquer les politiques gouvernementales sont menacées de fermeture, et leurs dirigeants sont souvent victimes de harcèlement judiciaire.
‎Cette situation crée un climat de peur et d’autocensure, où les citoyens hésitent à s’exprimer par crainte de représailles. Le coût du silence est élevé, car il étouffe le débat public et empêche la société de s’attaquer aux problèmes urgents auxquels elle est confrontée.
‎Dans les périodes les plus sombres de l’histoire, le silence des uns a souvent pavé la voie à la terreur des autres. Lorsque la peur étouffe les voix, que l’indifférence se mue en complicité passive, le prix à payer est celui de la liberté, de la justice, et parfois même de vies humaines. Le coût du silence, c’est l’escalade implacable de l’oppression, où chaque parole étouffée renforce les mains de ceux qui imposent l’ère de la terreur. 
‎L’histoire regorge d’exemples où le refus de s’exprimer, par lâcheté ou calcul politique, a permis à des régimes autoritaires de consolider leur emprise. Que ce soit sous les dictatures du XXᵉ siècle, dans les régimes totalitaires contemporains, ou même dans des sociétés démocratiques où l’autocensure gagne du terrain, se taire, c’est laisser faire. La terreur s’installe lorsque la dissidence est criminalisée, lorsque la peur de parler devient plus forte que la peur de subir. 
‎Qu’ont fait les Allemands sous Hitler ? Ils se sont tus ! C’est ainsi que la plus grande tragédie de l’histoire contemporaine a pu se produire. « Pour que le mal triomphe, il suffit que les hommes de bien se taisent »… Il est donc temps de nous exprimer et de montrer à ceux qui tentent de faire de la terreur le prix de notre silence qu’ils sont largement minoritaires dans ce pays. Ceux qui cherchent à régner par la terreur finiront par devenir des terroristes. Et les terroristes, nous savons comment les gérer.
‎En refusant de nous abaisser à leur niveau, nous leur avons abandonné l’espace public. Ils ont pu agir librement, intimidant tous ceux qui ne partagent pas leurs opinions. En recourant aux menaces, aux insultes et à d’autres comportements indignes, nous avons fini par croire que le jeu n’en valait pas la peine. Et nous avons choisi de nous taire. Ce faisant, il semble que leur opinion soit la seule qui compte, et que tous ceux qui ne la partagent pas soient considérés comme des traîtres à la nation. Pourtant, nous sommes nombreux à ne pas être d’accord, à ne pas apprécier, à trouver ce discours immature, obscène et indélicat. La majorité des Sénégalais le juge peu crédible, insuffisamment représentatif et dépourvu d’intelligence émotionnelle. Mais cette majorité se cache dans un silence coupable et dangereux.
‎La terreur ne prospère pas seulement par la violence active, mais aussi par l’acceptation tacite de cette violence. Lorsque les témoins détournent le regard, lorsque les intellectuels renoncent à dénoncer, lorsque les citoyens préfèrent l’illusion de la sécurité à la réalité de la résistance, le système répressif se perpétue. Chaque silence est une victoire pour ceux qui imposent la peur. 
‎Face à la terreur, la parole est une arme. Les sociétés qui ont surmonté leurs heures les plus sombres sont celles où des individus, malgré les risques, ont refusé de se taire. Que ce soit par l’art, le journalisme, la mobilisation citoyenne ou la simple solidarité humaine, rompre le silence, c’est saper les fondements de la terreur. 
‎Aujourd’hui, alors que de nombreuses régions du monde basculent dans un nouveau cycle d’autoritarisme et de violence, la question se pose : jusqu’où laisserons-nous le silence nous coûter ? Car l’ère de la terreur ne prend fin que lorsque suffisamment de voix s’élèvent pour dire : plus jamais ça. 
‎Le Sénégal se trouve à un carrefour critique. La voie actuelle, marquée par la répression et la peur, menace de saper les fondements mêmes de la démocratie et de la liberté. Il est crucial que les citoyens, les leaders politiques et la communauté internationale se mobilisent pour défendre les droits fondamentaux et restaurer l’État de droit. Le coût du silence est trop élevé, et l’avenir du Sénégal dépend de la capacité de sa société civile à se faire entendre et à exiger un retour à la justice et à la transparence.
‎Dénoncez! Critiquez! Osez!…
‎Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire dixit Albert Einstein.

Sobel Dione, anthropologue et traditionaliste, spécialiste de la culture sérère






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