Les soignants dans les antres programmatiques ou chronique d’une déchéance systémique

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Le système de santé national est confronté depuis près d’un an à une mutation paradoxale qui risque d’installer le chaos sanitaire. En effet, alors que les enjeux programmatiques exigent une expertise technique pointue et une vision systémique élargie, les postes stratégiques sont de plus en plus investis par des soignants, brillants dans leur domaine d’origine, mais insuffisamment armés pour les défis de gouvernance et de gestion opérationnelle. Cette intrusion de profils inadaptés dans les sphères décisionnelles programmatiques est lourde de conséquences car elle prend le pas sur les compétences de planification, d’évaluation et de pilotage systémique.Dans la pratique, cette approche est aux antipodes des perspectives mondiales en matière de santé publique. J’ai écouté certains d’entre eux, pratiqué quelques-uns mais j’ai eu le sentiment désagréable de vivre cette situation métaphorique où l’éléphant brise tout sur son passage dans un magasin de porcelaine. En effet, ces soignants sont fortement handicapés par un syndrome d’allégeance, un complexe morbide et une vision peu systémique.Les professionnels de santé avertis s’attendaient aux lendemains de la dernière alternance à des ruptures systémiques qui allaient définitivement mettre en branle un système de santé délestédes scories qui le maintenaient dans une gestion politicienne et partisane des ressources financières, matérielles et humaines. A l’examen, beaucoup de secteurs avaient atteint des limites de performance, souffraient des changements dans l’environnement et subissaient des interactions complexes et handicapantes.Pour nous et pour la majorité des théoriciens, la rupture systémique devait être un processus de transformation salutaire du système de santé ou du moins une occasion de réinventer un ordre plus juste et équilibré. Rien de tout cela !Bien au contraire, une horde envahissante peu ou pas outillée, au mérite politique infime, pritles rênes d’un système aux abois. Ils auraient pu être accompagnés s’ils avaient la modestie de Mandiaye Loum, l’humilité de Abdoulaye Ly, la sagacité intellectuelle de Ibnou Déme ou encore le professionnalisme de tous ceux qui seraient gênés d’être cités. Des pseudos sachant qui ignorent un triptyque élémentaire en matière de gestion programmatique : réalisation technique, exécution financière et absorption financière se sont emparés du système. La roue qui tourne !La gestion programmatique s’accommode mal de l’épicerie du soignant, il s’agit de perspectives totalement différentes. Dans une récente correspondance adressée au Premier Ministre du Sénégal, j’attirais son attention sur les conséquences fâcheuses du retrait de l’USAID et l’impact négatif qu’il aurait sur notre politique sanitaire mais je lui rappelais tout de même que « les récentes dynamiques impulsées par Donald Trump et Elon Musk offraient une excellente opportunité au Sénégal de redéfinir sa politique de santé fortement dépendante de l’aide extérieure ».Dans cette même correspondance, je lui signifiais également in extenso qu’« un Hépato-gastroentérologue n’est pas habilité à manager un programme de santé, une direction régionale de la santé ou un district sanitaire. Sa dextérité professionnelle, son engagement et ses prouesses politiques ne peuvent le justifier, il s’agit d’une situation totalement hérétique avec des effets désastreux sur le système de santé. Le Sénégal regorge d’experts dans tous les domaines, le premier élément de rupture est donc de redonner foi et d’offrir la possibilité aux experts de s’exprimer dans leurs domaines de compétences. Autrement, les excellents spécialistes que je connais vont continuer à s’exiler comme cette horde d’excellents médecins sénégalais rencontrés en Guyane française et qui soutiennent à bout de bras le système de santé de la France d’Outre-Mer ».Les urgences programmatiques ne sont pas dans le spectacle, elles sont dans la recherche de solutions au défi du financement de la santé dans un contexte de renversement paradigmatique de l’aide internationale. Les questionnements essentiels et insuffisamment pris en charge tournent autour de la continuité du financement des activités de santé, de la disponibilité des intrants et du renforcement de capacités continu des acteurs.Le plus désolant, dans cette histoire, est que les éminences grises du système de santé assistent de façon silencieuse et presque impuissante à cette entreprise de destruction des fondations au sens cartésien du terme, il est temps d’organiser la riposte systémique.Le front en gestation, proposera aux autorités étatiques, un changement structurel qui ne peut advenir que si les postes stratégiques sont confiés à des experts formés, aguerris et porteurs d’une vision systémique. Il ne s’agit nullement de nier la valeur des soignants mais de rappeler que la maîtrise des questions médicales ne garantit en rien la compétence en gestion de programme, en planification sectorielle ou en diplomatie sanitaire. Le front promeut un profilage rigoureux des fonctions programmatiques, une sélection transparente des responsables et un renforcement continu des capacités en leadership, gestion des systèmes et ingénierie/innovation sociale.

Latsouk Gnilane DIOUF Economiste de la santé/Travailleur social

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